Article : Norbert GUELEN
Photos : Roland KESSELER
Depuis quelques années , en décembre , quand les journées sont courtes , le club vosgien de THIONVILLE organise une marche-patrimoine en sa ville.
Celle-ci s’achève dans la bonne humeur par un vin chaud au marché de Noël de cette cité carolingienne.
Chemin faisant , arrêts et commentaires s’ imposent devant les monuments emblématiques ; citons : la Tour aux Puces (11e et 12e s ), l’ Hôtel de Ville (17e s ) , le Beffroi (14e et 16e s ) , l’église Saint-Maximin (18e s ) , les Ponts-Ecluses ( 18e s ) , la poste (1907), quelques beaux immeubles ( Jugendstil=version germanique de l’ Art Nouveau ) de l’ annexion allemande ( 1871-1918 ) ,l’ Autel de la Patrie (18e s ) ......et la statue de VICTOR HUGO dont l’ histoire de sa présence ici même reste méconnue pour de nombreux thionvillois . PARLONS - EN ........

La statue de VICTOR HUGO¹ se dresse place HENRI LEVY [rabbin de THIONVILLE (1883-1942)] face à la synagogue .
Un texte gravé sur son socle rappelle la douleur de l’écrivain de passage à THIONVILLE en 1871 quelques mois après l’annexion de la ville glorieusement défendue par son père en 1814 et 1815 :
« Le 30 août 1871 , j’ai vu pour la première fois Thionville que mon père avait gouvernée , défendue et sauvée en 1814 et 1815 . Mon père avait laissé cette ville intacte , je l’ai trouvée en ruines . Il l’avait laissée libre , je l’ai trouvée prisonnière , il l’avait laissée française , je l’ai trouvée prussienne . En mémoire de mon père , j’ai promis à Thionville dans un avenir prochain : la vie , la liberté et la patrie » VICTOR HUGO .
I) LA VENUE DE VICTOR HUGO Á THIONVILLE .
Pourquoi VICTOR HUGO se trouve-t-il à THIONVILLE le 30 août 1871 ?
Il prend les eaux à MONDORF-LES-BAINS , station thermale luxembourgeoise . Venant de VIANDEN² , il séjourne dans le petit village voisin d’ALTWIES - à l’hôtel de PARIS - à proximité de la GANDER , rivière - frontière actuelle avec la FRANCE .
Certains vosgiens connaissent d’ailleurs cet endroit pour y avoir marché .
Dans ses carnets , il raconte cette journée pleine d’émotions et de ferveur... à la recherche d’un portrait de son père longtemps exposé en mairie ....et à présent disparu !
II) LA STATUE DE VICTOR HUGO Á THIONVILLE .
Pourquoi sa statue ici à THIONVILLE ?
On pourrait s’attendre à trouver celle de son père Joseph Léopold Sigisbert HUGO , défenseur de la cité en 1814 et 1815...mais qui malheureusement ne possède que deux petites plaques commémoratives au premier étage du 3 rue du FOUR BANAL et place HUGO au mur de la brasserie « LE MARIGNAN » ; cette dernière comporte d’ailleurs une erreur chronologique : il a défendu la cité en 1814 et 1815 et non en 1813 - 1814 comme indiqué , à rectifier !!!

En 1906 , le roi du PORTUGAL CHARLES 1er (1863-1889-1908) , grand admirateur de l’œuvre de VICTOR HUGO, passe commande d’une statue de l’écrivain lors d’un séjour en France ; il compte ériger celle-ci à LISBONNE ; mais suite à une insurrection politique , il est assassiné en 1908 avec son fils aîné .
Le sculpteur français Jean BOUCHER (1870-1939) se retrouve avec un plâtre prototype sur les bras qui glorifie ainsi l’écrivain :
« l’homme qui marche , debout..seul dans la tempête..à la recherche de l’inspiration »
L’état français s’en porte acquéreur ; la statue est installée et inaugurée en juillet 1914 sur l’île anglo-normande de GUERNESEY qui avait accueilli l’écrivain durant son exil (31-10-1855 au 15-08-1870) ; mais le sculpteur en avait gardé un second et réalisé un bronze en 1931 , coulé par le fondeur parisien ALEXIS RUDIER (signature au dos , en bas , à gauche ) .
Il est exposé dans un premier temps au salon des artistes français à PARIS puis devant le PANTHÉON en 1935 ; en 1951 , il est laissé en dépôt par la ville de PARIS à THIONVILLE ; pour quelles raisons ??…,parce que VICTOR HUGO est venu à THIONVILLE le 30 août 1871 sur les traces de son père , défenseur de la cité en 1814 et 1815 .
III) LE GÉNÉRAL D’EMPIRE : JOSEPH LÉOPOLD SIGISBERT HUGO , DÉFENSEUR DE THIONVILLE EN 1814 ET 1815
Avec l’écroulement du grand empire napoléonien , THIONVILLE retrouve son rôle stratégique de ville-frontière perdue lors des annexions révolutionnaires et napoléoniennes au-delà du RHIN . Après les campagnes de RUSSIE et d’ALLEMAGNE , les alliés (RUSSIE , PRUSSE , AUTRICHE , ANGLETERRE) envahissent l’est de la FRANCE et THIONVILLE se retrouve à nouveau en première ligne sous le feu de l’ennemi .
La ville est assiégée en 1814 et 1815 et par deux fois , elle sera défendue par le général HUGO .père de notre écrivain et poète VICTOR HUGO ...véritable monument de notre littérature .
Le général HUGO est né à NANCY le 15 novembre 1773 . Il a laissé à THIONVILLE le souvenir d’un militaire instruit , au fort caractère , toujours soucieux d’améliorer l’ordinaire de ses habitants par de fréquentes sorties fructueuses …. . Indifférent à sa popularité , il maintient l’ordre d’une main de fer et n’hésite pas à détruire édifices et villages entravant la défense de la forteresse : destruction de l’église de BASSE – YUTZ et du village de HAUTE – YUTZ ; pour ces habitants ,
il est qualifié de vandale et cent ans plus tard , les yussois disent encore en langue francique , à un enfant qui saccage tout « De bascht e richtegen Hugo » , traduisible par « Tu es un véritable Hugo » .
Mais ce général n’a rien du héros « au sourire si doux » ainsi décrit par son fils VICTOR dans LA LÉGENDE DES SIÈCLES (poème après la bataille) ….c’est au contraire un spécialiste de la répression , des soulèvements et de la guérilla : VENDÉE (1793) , ITALIE (1805 – 1806) où il a éliminé le fameux FRA DIAVOLO³ , la péninsule ibérique (1809) ……
- 2) LE CHANT DU CYGNE DE L’EMPEREUR NAPOLÉON 1er : l’offensive alliée et l’invasion .
En janvier 1814 , le général d’empire HUGO prend le commandement de la garnison de THIONVILLE et installe son quartier général au 3 rue du FOUR BANAL (voir plaque) .
Durant quatre mois , de janvier à avril 1814 , la place forte résiste aux assauts des armées prussiennes commandées par le prince de HESSE – HOMBOURG , gouverneur du LUXEMBOURG .
Apprenant la fin de l’empire et la reddition de METZ , HUGO refuse de se rendre malgré la décision des notables et de ses aides de camp de capituler (14-04-1814) .
Trois jours plus tard une convention est signée avec l’ennemi qui n’entrera pas dans la ville ; ce n’est qu’au 1er traité de PARIS le 30-05-1814 que les portes s’ouvrent : la FRANCE perd ses frontières naturelles acquises par la révolution et l’empire ; elle est réduite à ses frontières d’ancien régime accrue cependant de quelques territoires ou places fortes ; elle ne paye aucune contribution de guerre ; les troupes alliées évacuent le territoire immédiatement .
- 3) LE VOL DE L’AIGLE : le retour de l’île d’ELBE et les CENT–JOURS (20–03–1815 au 08–07–1815) .
En avril 1815 sur la proposition du maréchal DAVOUT , le général HUGO remplace le général CURTO nommé un an plus tôt par le roi LOUIS XVIII et expulsé manu militari au début des CENT–JOURS .
Il retrouve donc THIONVILLE et réside au 326 rue de la VIEILLE PORTE .
Après la défaite de WATERLOO (18-06-1815) la cité subit à nouveau le blocus des Prussiens du prince de HESSE – HOMBOURG et des RUSSES du général CZERNITSCHEFF .
Le 08-07-1815 le roi LOUIS XVIII est de retour à PARIS mais le général HUGO fait de la résistance : les troupes assiègent la ville jusqu’au 15-09-1815 , les préliminaires de paix sont signés le 1er octobre , HUGO quitte la ville le 13 novembre refusant d’ouvrir les portes de celle-ci .
Le commandement est confié à M. DU BREUIL , lieutenant du roi qui accueille les Prussiens au second traité de PARIS signé le 20-11-1815 ….bien plus rigoureux que le premier : la France perd des territoires conservés en 1814 (le duché de BOUILLON , PHILIPPEVILLE , SARRELOUIS , SARREBRUCK etc...) , doit payer une indemnité de guerre de 700 millions de francs et …. THIONVILLE sera occupée pendant trois ans par les troupes prussiennes jusqu’au 24 novembre 1818 !!!
Après trente six ans d’active , vingt-cinq campagnes militaires , de nombreux titres et décorations , le général HUGO est admis à la retraite le 1er janvier 1825 . Il meurt d’une crise d’apoplexie à PARIS le 29-01-1828 à l’âge de 55 ans . Son corps repose au cimetière du PÈRE LACHAISE à PARIS . (division 27)
Cinquante ans après sa mort – suite à sa visite à THIONVILLE – son fils VICTOR fait graver sur sa tombe : « PAR LUI , THIONVILLE EST RESTÉE FRANÇAISE »
Les sources :
* THIONVILLE cité méconnue . PAUL NOËL – librairie PIERRON – MARX – ÉTUDES HISTORIQUES N°18
* HISTOIRE DE LA VILLE DE THIONVILLE par le Docteur GISS depuis ses origines jusqu’à 1920 .
* HISTOIRE DE THIONVILLE sous la direction de François ROTH . ÉDITIONS Serpenoise –
Gérard KLOPP éditeur -
* HEMECHTSLAND A SPROOCH – JAIZ – N°13 – octobre 1986 .
* LE RÉPUBLICAIN LORRAIN du 10-08-2011 et du 28-07-2017 .
* LE GUIDE VERT MICHELIN (1993) : BELGIQUE . GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG .
* INTERNET .
¹ VICTOR HUGO :
- né à BESANÇON le 26-02-1802
- décédé à PARIS le 22-05-1885
- funérailles nationales
- dépouille transférée au PANTHÉON le 01-06-1885 soit dix jours seulement après sa mort !!!
² VIANDEN :
- ville située au Nord-Est du GRAND DUCHÉ DE LUXEMBOURG en bordure de l’OUR , affluent de la SÛRE ; VICTOR HUGO y séjourna du 8 juin au 22 août 1871 ; sa demeure a été transformée en musée ; son buste signé RODIN se dresse en face de celui-ci ; une rue porte son nom .
³ FRA DIAVOLO :
- brigand calabrais (1771-1806) à la solde de l’ANGLETERRE , luttant contre la domination
française ; pendu à NAPLES .
- Un plan de THIONVILLE (2019) indique :
- une place du général HUGO
- une rue VICTOR HUGO
- une école maternelle et primaire VICTOR HUGO